Chapitre 10

La balise-pierre

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James attendit que les deux gobelins aient terminé de démonter leur appareillage compliqué. Ils installèrent ensuite les divers éléments sur une brouette rustique et s’éloignèrent avec leur chargement. Tout en travaillant, ils avaient parlé en Gobelbabil, un étrange langage incompréhensible. Quand les deux petits êtres eurent disparu, la rotonde retrouva son silence. James se releva et regarda dans le miroir d’argent, tout se demandant pourquoi quelqu’un avait accroché un tel objet derrière une statue. Mais il ne vit que l’arrière des jambes de la statue, et son propre reflet, avec des yeux écarquillés et affolés. Ses lunettes étaient de travers. Il les enleva, et les mit dans la poche de son pyjama. Pendant un moment, il resta tout frémissant, sous le coup d’une horrible panique. La porte du miroir s’était refermée ! Comment allait-il rentrer ?

Il voulut vérifier quelque chose. Dès qu’il toucha la surface du miroir d’argent, le reflet changea. Le bureau de Merlin apparut, comme si les mains de James l’avaient convoqué. Des bougies brûlaient, et Merlin était assis à son bureau. Le dos tourné au miroir, il feuilletait le Livre Compas. Il dut sentir le regard de James, parce qu’il tourna vivement la tête, en direction du miroir, les yeux intenses. Instinctivement, James se jeta de côté et se plaqua contre le mur de pierre, près du miroir. C’était un geste inutile : dès que ses doigts avaient quitté la surface froide, le reflet du miroir redevint normal. Le bureau du directeur disparut et, à nouveau, apparut l’arrière de l’énorme statue et la rotonde.

James poussa un énorme soupir de soulagement. Il pouvait revenir ! Il lui suffisait d’attendre que Merlin quitte son bureau. Ensuite, James effleurerait ce côté du miroir et souhaiterait retourner à son époque. Avec un peu de chance, il repasserait à travers l’Amsera Certh. Bien sûr, une fois de retour, il lui resterait à échapper au bureau du directeur sans se faire voir, mais il y réfléchirait quand le temps viendrait. Un peu calmé, James se laissa doucement retomber contre la plinthe de la statue, et s’appuya au mur.

Maintenant qu’il était rassuré, James remarqua les bruits et les odeurs de cette ancienne version de Poudlard. La rotonde était déserte, mais le reste du château vibrait d’activité. Il y avait des échos de voix, bruyantes et animées ; des bruits de pas, et même des claquements des sabots contre la pierre du sol. Non loin de James, des casseroles s’entrechoquaient, indiquant la proximité des cuisines. Les odeurs puissantes étaient un mélange de ragouts, de terre labourée, de poussière, et de crottin de cheval. James sentit soudain flamber sa curiosité. Puisqu’il devait attendre, pourquoi n’irait-il pas explorer un peu Poudlard à ses débuts ? Rose le frapperait sûrement s’il ne profitait pas d’une telle opportunité. James se releva, et regarda entre les pieds énormes de la statue d’Helga Poufsouffle. La rotonde était toujours déserte. Avec précaution, il émergea de sa cachette, et traversa la salle en l’examinant de près. Elle ressemblait exactement à la rotonde qu’il connaissait à Poudlard, à son époque, sauf qu’elle n’était pas vieille. Chaque pierre des murs était parfaitement alignée, avec des arêtes vives, un crépi bien blanc. Une fois sous la voûte, James se retourna pour mieux voir les statues des fondateurs. Il s’était souvent demandé à quoi elles ressemblaient avant d’avoir été détruites. Chaque sculpture était haute de six mètres. Trois des visages de pierre souriaient, mais Salazar Serpentard, les yeux étrécis, semblait plutôt ricaner. Sur le mur du fond, au-dessus du miroir d’argent, il y avait un gigantesque écu avec les armes de Poudlard peintes en couleurs vives. L’ensemble était vraiment impressionnant.

— Gamin ! cria quelqu’un derrière James.

James sursauta, et pivota si vite qu’il faillit tomber par terre.

Un homme dans une longue cape de fourrure était arrivé sous la voûte, à l’entrée de la rotonde. Il avait des yeux enfoncés sous d’épais sourcils broussailleux qu’il fronçait pour lutter contre la luminosité du jour. Il tenait les rênes d’un magnifique cheval blanc.

— Emmène mon cheval de trait à l’écurie, et prévient ton seigneur que ses hôtes sont arrivés. Si personne ne se donne la peine de nous accueillir, nous trouverons nos quartiers tout seuls.

Sous le choc, James resta un moment tétanisé. Ne sachant quoi faire d’autre, il courut vers l’homme, et tendit une main hésitante vers les rênes du premier cheval. D’un œil suspicieux, l’homme l’examina de haut en bas, et James se rappela soudain qu’il ne portait qu’un pyjama à rayures bleues et blanches.

— Ne touche pas à mon destrier, gamin, gronda l’inconnu. Personne d’autre que moi ne s’occupe de cette bête. Je t’ai demandé de prendre mon cheval de trait.

Du doigt, il indiqua le portique où un cheval bai attendait, attelé à un chariot rempli de sacoches en cuir et de sacs de jute. Le chariot était en bois, avec d’énormes roues. L’homme se pencha vers James, d’un air menaçant.

— Es-tu garçon d’écurie ou bouffon ? Que signifie une telle réception ?

— Euh… désolé, monsieur, bafouilla James. Aucun problème. Je vais m’occuper de votre cheval… euh, messire. Maître. Euh… Votre altesse.

Tout à coup, l’homme eut un sourire qui exhibait toutes ses dents, comme s’il pensait que James se moquait de lui, et s’amusait déjà à envisager sa punition.

— Très drôle, gamin. Ton seigneur appréciera certainement autant que moi la plaisanterie. Veille à ce que nos bagages soient apportés dans nos quartiers, et je tannerai personnellement le porteur qui manquera de soins. Parles-en autour de toi.

Sur ce, l’homme attacha les rênes de sa monture autour d’un pilier, et disparut dans l’obscurité d’un couloir, sa fourrure oscillant derrière lui. Il laissa dans la rotonde un parfum étrange et épicé. James se tourna pour regarder le cheval de trait et son chariot de bagages. Maintenant que plus personne ne le surveillait, il envisagea d’abord de s’enfuir, mais eut une autre idée. Il était sans doute capable de mener le cheval jusqu’à l’écurie. Il lui suffisait de suivre l’odeur du crottin. De plus, cette tâche lui permettrait de jeter un coup d’œil dans le château originel, sans se faire remarquer. Mais d’abord, il avait besoin d’autres habits. Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui. Au lieu des champs à flanc de collines, envahis de mauvaises herbes que James connaissait à son époque, la rotonde ouvrait sur des terres soigneusement labourées, et la cour était entourée d’un mur de pierre basse. Sur le côté, il y avait un ruisseau d’eau vive, qui tombait en contrebas par une ouverture, sur les champs en dessous. Et près du ruisseau, il y avait des paniers de linge. James s’en approcha, espérant que ceux qui devaient les laver ne reviendraient pas trop vite.

Il ne trouva dans les paniers que des robes grossières, bien trop grandes pour lui. Il enfila cependant la plus petite et essaya d’en rouler les manches. Il baissa les yeux. Le bas de la robe formait autour de ses pieds une traîne comique. C’était mieux que son pyjama rayé, mais à peine. Peut-être trouverait-il plus tard quelque chose de plus approprié. Pour ne pas marcher sur l’ourlet, il attacha la robe avec une cordelette et courut vers le cheval qui l’attendait patiemment.

Il prit les rênes. Le cheval faisait largement deux fois sa taille. Il continua à mâchonner avec entrain l’herbe dans la cour, mais suivit James dès qu’il tira sur les rênes. Les roues du chariot grincèrent en suivant l’animal. James ne savait pas trop où aller, mais il pensait qu’en se promenant dans la cour du château, il finirait par trouver les écuries. Il en profiterait pour regarder ce qui se passait.

L’ancien château de Poudlard était bien plus petit que celui que James connaissait à son époque. Après avoir quitté la rotonde, l’entrée officielle, il y avait une grille de fer, actuellement relevée. Les tourelles brillaient sous l’éclat du soleil, et leurs toits coniques paraissaient assez pointus pour percer le doigt de James. Bien plus haute, s’élevait la Tour Sylvven que James reconnut. Elle ressemblait à l’image qu’il en avait gardée, mais elle dominait davantage le château. Tandis que James quittait la cour, dirigeant le cheval vers une haute portière de pierre, il remarqua que les terres alentour étaient parsemée de fermes et de chaumières. Il en fut un peu surpris. À son époque, le château de Poudlard siégeait seul, isolé et secret, au milieu de terres sauvages et boisées. Ici, de toute évidence, le château était entouré d’une communauté active et animée. Les gens vaquaient à leurs occupations, et la plupart étaient des paysans. Tandis que James avançait avec son cheval et son chariot, essayant de prétendre savoir où il allait, il vit des gens porter des paniers ou des pots, mener des moutons ou des vaches, pousser des brouettes remplies de légumes. Plusieurs personnes lui jetèrent des regards prudents, et il entendit même une femme rire de lui, mais personne ne l’accosta, ni de lui demanda ce qu’il faisait, où il allait.

Finalement, James repéra dans la brise l’odeur du crottin frais de cheval. Il tourna la tête, et aperçut une grande grange de pierre. Il eut un sourire. C’était la même qu’Hagrid utilisait à son époque pour ses cours de Soins aux Créatures Magiques. Le toit était différent, et il y avait une forge attachée sur le côté, mais sinon, la bâtisse n’avait pas changé. En approchant, James entendit des hennissements de chevaux. Dans la forge, résonnait des coups de marteau.

Un homme aux bras nus émergea de l’écurie par la porte principale, et aperçut James.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.

— Euh… Le cheval de trait a besoin d’être dételé, répondit James, en tendant les rênes. Son propriétaire m’a envoyé ici. Je ne suis pas vraiment un garçon d’écurie.

L’homme fronça les sourcils.

— Ça, j’avais remarqué, grommela-t-il, vu la façon dont tu as mené ici ce cheval sans même enlever son chariot. Tu t’attends peut-être à mettre les bagages dans l’écurie ?

— Non, répondit James. Je dois amener les bagages dans les quartiers du propriétaire. Il a dit qu’il… Euh… tannerait ceux qui ne feraient pas assez attention à ses affaires.

— Ne me dis pas comment faire mon travail, gamin ! dit l’homme, en roulant les yeux fatigués. Si j’avais le temps, je te tannerai moi-même. (Il se détourna pour hurler :) Thomas ! Trouve-moi un jeune page. Nous devons ramener ce chariot aux valets avant que lord Maarten devienne nerveux.

Puis l’homme regarda James avec un soupir.

— Soit tu es un voleur, soit tu es le plus jeune clerc que j’aie jamais vu. Ta maîtresse te fera flageller d’importance quand elle verra ce que tu as fait de cette robe. Quel est ton nom ?

Le cœur de James battait si fort qu’il n’arriva pas à trouver un mensonge assez vite.

— Euh, James, monsieur. James Potter.

— Ah, le petit Potter, hein ? D’accord, tu ferais mieux de retourner vite fait au marché. Et dis à ton père que ce pilon que je lui ai troqué la dernière fois à une fissure à la base. J’enverrai ma femme le lui ramener demain matin.

L’homme considéra sans doute avoir congédié James. Il retourna dans l’ombre de l’écurie, criant encore le nom de Thomas. James poussa un grand soupir soulagé. De toute évidence, cet homme l’avait pris pour le fils d’un potier du village. James pivota, et regarda le chemin d’où il était venu. Le terrain entre la grange et le château était complètement différent à cette époque qu’à la sienne. James voyait à peine le sommet plat de la tour Sylvven apparaître au-dessus des bouleaux. Il revint sur ses pas, avec des écarts pour éviter les chariots et les animaux de ferme.

Une sorte de marché était installé à l’arrière du château. Il y avait des baraques en bois, des bancs, et des chariots vaguement alignés, chacun proposant différentes sortes de produits. Les acheteurs et les badauds s’agglutinaient devant les baraques, criant et gesticulant, négociant et marchandant. Plusieurs têtes de bétail se mêlaient aux paysans, ajoutant à la cacophonie générale et aux odeurs puissantes du marché. James traversa la foule, en essayant de ne pas se faire bousculer, ni de mettre le pied dans les crottes animales. En entendant des échos des conversations, il réalisa que ces gens étaient essentiellement des Moldus, et qu’ils étaient conscients de la nature magique du château et de ses habitants.

— Voici une fourchette magique authentique, affirmait un marchand à une paysanne qui paraissait sceptique. Avec elle, le moindre de tes repas aura le goût d’un festin de roi. C’est mon fils, Lars, qui l’a trouvée après le pique-nique d’un magicien. Il est à toi pour deux poulets.

La femme refusa en maugréant, et s’éloigna. L’homme n’en parut pas troublé. Il vit James le regarder, et s’écria aussitôt :

— Qu’est-ce que tu en penses, gamin ? Ça te dirait, un objet magique ? Dit à ta mère de venir me voir, tu veux ?

James haussa les épaules, et recula.

Quand il fut dans l’ombre projetée par le mur du château, James repéra une large entrée toute proche. De l’autre côté, il entendit des casseroles s’entrechoquer et pensa à nouveau aux cuisines. D’ailleurs, les odeurs alléchantes s’échappaient de la porte ouverte. Ayant déjà entendu ces mêmes bruits dans la rotonde, James décida que cette entrée était sa meilleure option pour retrouver la statue et le miroir. Il avança vers la porte, faisant de son mieux pour paraître naturel. Il réalisa qu’il serait plus crédible en portant quelque chose. Près de la porte, il y avait plusieurs pots de cuivre, alignés près d’un énorme chaudron qui bouillonnait sur un brasier. James jeta un coup d’œil autour de lui, vérifiant que personne ne le regardait, puis il récupéra l’un des pots. Serrant son larcin dans ses bras, il commençait à se tourner quand il entendit un bruit retentissant. Il pivota. Tous les autres pots étaient tombés, renversant leur eau dans le feu qui crachotait et sifflait.

— Qu’est-ce que c’est ? s’écria une voix de femme, très stridente. Au voleur ! Qui a touché à la marchandise ? Ces pots appartiennent au forgeron. Au voleur !

James lâcha son pot et s’enfuit. Il entendit un brouhaha derrière lui. Il comprit que la femme qui avait crié se lançait à sa poursuite, mais il ne tourna pas la tête pour vérifier. Il plongea dans l’obscurité de la cuisine, évita un homme avec une veste de cuir, renversa une femme avec un plateau. Il faisait très sombre dans la cuisine, malgré le feu qui ronflait dans une cheminée de brique. James fonça vers la lumière, et vit une autre porte non loin de là.

— Au voleur ! cria une autre voix se joignant aux hurlements extérieurs. Arrêtez-le !

Un homme au torse nu, la taille ceinte d’un tablier taché, se plaça devant James. Il arborait un sourire mauvais, sous son énorme moustache noire. Il tenait à la main un couteau de boucher, et en jouait comme si c’était un coutelas.

James essaya de s’arrêter, mais il courait trop vide, et le sol de pierre était mouillé. Il glissa, tomba sur les fesses, et passa entre les jambes écartées de l’homme. Très surpris, la brute baissa les yeux, mais James était déjà de l’autre côté.

— Arrête-toi, cria l’homme en pivotant.

Dans le couloir, James heurta le mur opposé, et se releva aussi vite que possible. Il s’enfuit droit devant lui. L’homme rugit, et leva son couteau, mais quelqu’un d’autre le retint par le poignet.

— Du calme, Larkin ! dit une voix Ce n’est qu’un gosse. Il a fait tomber des pots dans la cour. Ce n’est pas la peine de lui ouvrir le crâne parce qu’il t’a rendu ridicule. Si ce genre d’offense méritait la mort, tu devrais tuer toute la cuisine.

James comprit que la poursuite était terminée, mais il n’arrêta pas de courir. Arrivé à un croisement du couloir, il s’apprêtait à continuer, quand une main lui prit le poignet, dans une prise aussi serrée qu’un étau. À cause de son élan, James pivota sur lui-même et tomba. Lorsqu’il releva les yeux sur celui qui l’avait arrêté, il vit Salazar Serpentard le regarder de haut. Ses doigts, toujours serrés sur le poignet de James, étaient glacés.

— Nous interdisons qu’on coure dans ces couloirs, dit le sorcier. Et que signifie au juste cette émeute pour un simple gamin ?

— Il n’y a pas d’émeute, répondit James en haletant. J’étais juste… euh…

— Tais-toi, tu me dégoûtes, dit Serpentard, les yeux étrécis. Ton sang est répugnant. Comment oses-tu entrer dans ce château, Moldu ?

James sentit une réponse furieuse monter en lui, mais, par un effort de volonté, il réussit de justesse à se taire.

— Désolé, monsieur. Je me suis… perdu.

Serpentard se pencha vers James, usant de la prise sur son poignet pour l’approcher.

— Tu oses me regarder dans les yeux comme si tu étais mon égal ? grinça le sorcier d’une voix sifflante. Mes compagnons au cœur tendre tolèrent sans doute de telles insolences, mais moi, je ne le supporterai pas. Tu t’adresseras à moi en appelant « maître » c’est compris ? Et tu baisseras les yeux, sinon je te les arracherai pour les mettre dans ma collection. Est-ce que c’est clair, misérable vermine ?

Utilisant la prise de Serpentard comme levier, James se releva. Une fois debout, il tira aussi fort que possible, arrachant son poignet des doigts du sorcier.

— Pétard ! dit-il en colère. Les livres d’histoire ne mentent pas à votre sujet.

Les yeux de Serpentard étincelèrent, et son expression devint méfiante. D’un mouvement extrêmement rapide, il sortit sa baguette. James essaya aussi de prendre la sienne, mais elle était bien trop enfouie sous cette robe ridicule.

— Salazar, dit soudain une voix.

Serpentard se figea. James pivota, ravi de cette interruption. Une femme – que James reconnut comme Rowena Serdaigle – arrivait au bout du couloir. Ses yeux vifs et méfiants passèrent au-dessus de la tête de James pour se poser sur Salazar Serpentard.

— Nous t’attendons, dit-elle. L’audience avec lord Maaten a commencé. Combien de temps as-tu l’intention de palabrer encore avec ce… Euh… jeune clerc ?

Quand Rowena baissa les yeux sur James, elle eut un bref clin d’œil, mais sans sourire.

James se tourna vers Serpentard, qui le regardait d’un œil furieux et menaçant. Puis, tout à coup, le visage du sorcier changea. Il eut un sourire indulgent, et tapota la tête de James.

— Sauve-toi, mon garçon, dit-il d’une voix chantante. Je suis certain que nous trouverons un moment pour terminer notre palabre… très bientôt.

James regarda Serpentard, craignant que le sorcier lui jette un sort dans le dos dès qu’il s’éloignerait. L’expression de Serpentard ne changea pas, mais ses yeux se durcirent. « Fiche le camp, ou gare à toi ! » semblait dire son regard. James s’y risqua. Il se tourna et marcha aussi vite que possible, prenant le premier passage sur sa droite, pour s’éloigner du couloir où Salazar Serpentard et Rowena Serdaigle s’en allaient. En arrivant tout à coup devant des escaliers, James se retourna, Serpentard n’était plus là. James poussa un autre soupir de soulagement, puis il prit les marches deux par deux.

Tandis qu’il errait dans les couloirs, James entendait encore les bruits de la cuisine. Il devait toujours être proche de la rotonde, mais rien ne lui paraissait familier. La lumière de nombreuses torches frémissait dans d’énormes torchères de fer forgé accrochées aux murs, projetant des ombres étranges qui troublaient son sens de l’orientation. James passa devant des gens, plus âgés que lui. Il pensa qu’il s’agissait sans doute des premiers élèves de Poudlard. Plusieurs se tournèrent pour le regarder, avec des yeux curieux ou carrément suspicieux. James commença à paniquer. À un moment, il croisa deux garçons en tunique verte, et se retourna, pour affronter leurs regards.

— Désolé, je suis nouveau ici, s’aventura-t-il à dire, d’une voix qu’il essaya de garder tranquille. Je cherche la rotonde. Vous savez où elle se trouve ?

— Qu’est-ce que tu peux avoir à faire dans la rotonde, gamin ? demanda le plus grand des deux, en montrant ses dents dans une parodie de sourire aimable. Tu sais très bien – ou du moins, tu devrais le savoir – que c’est l’heure de la classe d’Alchimie.

— Mais peut-être qu’il ne le sait pas, dit le second, le front plissé. D’après sa tenue, c’est un intrus moldu. Tu prétends être perdu ?

— Peut-être n’est-il pas perdu, dit le plus brun des deux, en avançant vers James. Peut-être est-il venu pour nous espionner, ou pire encore. Je pense que le directeur de notre maison devrait le juger.

— Non, non ! s’écria James, en levant les mains. J’ai déjà rencontré Salazar Serpentard. Et il m’a dit… Euh… salut !

Affolé, James pivota sur ses talons, marcha sur l’ourlet de sa robe et trébucha. Les deux garçons avançaient vers lui. L’un des deux tendit la main vers son capuchon, mais James s’était repris. Il plongea en avant, et échappa de justesse à leur prise.

— Rattrapons-le ! ordonna le plus brun des deux, en se lançant à sa poursuite.

Le cœur battant, James courut tout droit dans le couloir. Il tourna au hasard, descendit de brefs escaliers, prit une porte. Après un détour, il rencontra une alcôve avec une statue accroupie. À sa grande surprise, c’était celle de St Lokimagus à la Production Perpétuelle. Sans réfléchir, James se cacha dans l’alcôve, derrière la statue.

Très vite, il entendit les pas précipités de ses poursuivants. Ils s’arrêtèrent, près de la statue.

— Il n’a pas pu aller très loin, aboya le plus grand des deux. Va devant. Moi je reviens sur mes pas pour vérifier que nous ne l’avons pas manqué. Ce bâtard moldu va payer cher d’avoir rencontré la maison Serpentard.

James retint sa respiration jusqu’à être certain que les deux autres étaient partis. Finalement, il sortit de sa cachette, vérifia des deux côtés, et s’aventura à nouveau dans le couloir. Il espérait désespérément ne pas rencontrer d’autres élèves. S’il se faisait prendre maintenant, il pourrait ne jamais retrouver le miroir magique. Il risquait de rester à jamais coincé dans cet ancien Poudlard.

Quand James émergea d’une large arcade voûtée, il poussa un cri étouffé. Là, sur le sol de marbre, il voyait les quatre gigantesques statues des fondateurs. Il avait retrouvé la rotonde ! Il apercevait même le reflet du miroir d’argent sur le mur du fond. Il traversa la rotonde aussi silencieusement que possible, déterminé à rester à côté du miroir, même si Merlin était encore dans son bureau. Il préférait courir sa chance avec son directeur en colère et tenter de s’expliquer. L’ancien monde lui paraissait bien plus dangereux.

Mais au moment même où James se faisait cette réflexion, il y eut un mouvement à l’arrière des statues. Quelqu’un, caché dans leur ombre, en émergea et approcha, comme pour le rencontrer. James essaya de s’arrêter, de se cacher, mais il n’y en eut pas le temps. Il était trop tard. Salazar Serpentard arborait un sourire moqueur. Il toisa James d’un air triomphant. Il avait sa baguette dans la main droite, et quelque chose sous le bras gauche, couvert d’un épais tissu noir.

— J’imaginais bien te rencontrer ici, mon jeune ami, dit Serpentard d’une voix douce. Tu sais, je pense que tu n’es pas un Moldu, après tout. Je pense que tu es un espion. C’est très intelligent de ta part d’être venu à travers le miroir. J’avais commis l’erreur de croire que c’était impossible.

James secoua la tête.

— Non ! Ce n’est pas ce que vous pensez ! Il faut juste que je…

La voix de Serpentard devint glacée. Le sorcier tenait sa baguette, mais sans la pointer sur James.

— Je peux te promettre une chose, mon jeune ami, dit-il en se tournant. Je ne ferai pas deux fois la même erreur.

Un jet de lumière blanche émana de la baguette de Serpentard et heurta le miroir d’argent qui explosa en mille éclats lumineux. Les morceaux tombèrent entre les jambes des statues, et s’éparpillèrent sur le sol.

— Non ! hurla James.

Il tomba à genoux et récupéra l’un des éclats, mais c’était inutile. Le petit fragment ne lui montrait rien d’important. Le portail été détruit.

— On dit qu’un miroir cassé provoque sept ans de malheur, commenta Serpentard d’une voix amusée. (Ses pas écrasèrent les morceaux de verre quand il approcha de James. Son sourire moqueur s’entendait dans sa voix.) C’est peut-être vrai.

James s’écarta de Serpentard, et chercha à sortir sa baguette de sa robe trop grande. Le sorcier chauve continua à avancer vers lui. Il secouant la tête, comme s’il s’amusait des efforts de James. Quand James retrouva enfin sa baguette, il la pointa, mais Serpentard agitait déjà la sienne. Il y eut un craquement sec, et James sentit sa baguette lui échapper des mains. Elle tomba par terre, non loin de lui.

— Je pensais qu’à part moi, il n’y avait qu’un seul autre sorcier sur terre à savoir traverser les miroirs, dit Serpentard.

Il avançait toujours vers James. D’un mouvement ample, il arracha le tissu de l’objet qu’il tenait sous le bras. C’était un autre miroir, de forme ovale, dont le cadre représentait un serpent enroulé.

— Tu sais, dit le sorcier, ce miroir est particulièrement intéressant, surtout pour quelqu’un dans ton cas. En fait, je suis désolé de t’en prévenir, mais ce n’est pas une porte. Ou du moins, elle est… à sens unique.

Quand Serpentard lui présenta le miroir, James y vit son reflet – un garçon perdu dans une robe trop grande, avec des yeux sauvages et inquiets.

— As-tu jamais entendu parler de cette vieille superstition moldue qui prétend qu’en regardant ton reflet trop longtemps dans un miroir, tu deviens ce reflet ? demanda Serpentard d’un ton doucereux, tenant toujours le miroir devant James. Les Moldus craignent de disparaitre complètement s’ils s’éloignent de leur reflet.

Centimètre par centimètre, James avançait discrètement vers sa baguette, à moins d’un mètre de lui. Tout à coup, il prit son courage à deux mains, et plongea dessus. Au même moment, une douleur atroce lui traversa le bras, le rendant impuissant. Il tomba sur le sol et se tordit en hurlant. Désespéré, il vérifia ce qui lui avait causé une telle souffrance, puis haleta d’effroi, horrifié par ce qu’il voyait. Son bras droit avait disparu… complètement, jusqu’à l’épaule. Sans comprendre, James fixa l’endroit où son bras aurait dû être, et ne put s’empêcher d’essayer de le toucher de la main gauche. Serpentard riait gaiement. Le sorcier fit un pas de côté, pour placer le miroir devant James, et le bras de James réapparut. La douleur disparut.

— Tu vois, dit-il, en tenant le miroir pour que James puisse se voir dedans, rien n’est plus instructif qu’une expérience vécue. Qu’en penses-tu, mon jeune ami ? Comme tu viens de le découvrir, tu ne risques rien tant que tu restes devant ton reflet. Par contre, si tu tentes de t’échapper… eh bien, je n’ai pas besoin d’en dire plus, je crois.

À nouveau, Serpentard agita sa baguette. Celle de James s’envola et fit quelques pirouettes, avant que le sorcier chauve la rattrape d’un geste précis.

— C’est très curieux, dit-il, de voir une baguette aussi bien façonnée dans la main d’un garçon qui sait à peine l’utiliser. Tu n’es pas un élève de cet établissement, et pourtant tu sembles nous connaître. J’ai beaucoup de questions à te poser, mon jeune ami. (Serpentard mit la baguette de James dans sa poche, tandis que ses yeux étrécis devenaient glacés.) Et je suis tout à fait certain que tu vas y répondre. Et en détail !

 

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Quelques minutes plus tard, James fut enfermé dans une salle obscure, dans les quartiers privés de Serpentard. La pièce était basse sous plafond, avec des murs de pierre couverts de tapisseries représentant des scènes plutôt déplaisantes – des squelettes qui dansaient et des montagnes décharnées. Il y avait deux tables en bois de chaque côté de la pièce, et James devina qu’il s’agissait du laboratoire magique personnel du sorcier. Sur la table de droite, se trouvaient d’énormes grimoires de cuir, des parchemins, des plumes et des peintures magiques. Sur celle de gauche, une étonnante collection de fioles, jarres et pots, rangés sur des étagères, au-dessus d’un gros chaudron. Il n’y avait qu’une chandelle allumée dans la pièce : elle était en cire rouge sang, posée sur un crâne humain. James eut l’impression très nette (et plutôt inquiétante) que cette pièce était un endroit secret, que rares étaient les personnes autorisées à y entrer. Il resta assis contre le mur du fond, sur une chaise dure au très haut dossier de cuir. Elle n’était pas confortable, mais c’était le seul endroit de la pièce où il pouvait rester en face du miroir ovale. Serpentard l’avait posé sur un chevalet, face aux doubles-portes, afin de s’assurer que James ne pourrait s’en approcher sans quitter son reflet.

— J’aimerais vraiment m’entretenir avec toi dès à présent, avait expliqué le sorcier. Mais je suis plutôt occupé ce soir, et tu es arrivé à un mauvais moment. Je t’assure cependant que, dès que j’en aurai terminé avec mes entrevues, tu auras toute mon attention, entière et indivise.

Sur ce, Serpentard avait refermé les doubles-portes, mais pas complètement. À travers la fente, James apercevait le bureau principal du sorcier. Alors qu’il attendait, James l’entendit arpenter son bureau, ranger des parchemins, et marmonner entre ses dents. Puis il y eut un coup sonore sur la porte extérieure du bureau.

— C’est très aimable à vous de prétendre être encore dans le couloir, mon ami, dit la voix de Serpentard. Mais il y a plusieurs minutes que j’ai senti votre arrivée. Je présume que c’est impoli de ma part de vous le signaler. Je vous en prie, asseyez-vous.

À travers la fente des portes, James vit des ombres bouger. Une haute silhouette passa, il y eut le craquement de pas lourds, puis un soupir.

— Je méprise chaque pierre de cet endroit, dit une voix rocailleuse et profonde. Les dalles de ce sol sont comme des poignards aiguisés sous mes pieds. Si je le pouvais, j’aimerais faire surgir les feux des profondeurs de la terre pour consumer ce château ! Que soit damné votre misérable établissement !

Dans l’ombre du laboratoire, James étouffa un cri. Il avait reconnu la voix du visiteur de Serpentard. C’était incroyable, et pourtant, ça paraissait évident. Comment pouvait-il ne pas avoir fait plus tôt la connexion ? Le cœur battant, James tendit l’oreille pour mieux écouter.

— Je vous offre toute ma sympathie Merlinus, répondit Serpentard. Effectivement, il doit vous être très désagréable de revenir ici. Mais vous ne pouviez quand même pas imaginer que nous laisserions ce château inoccupé ? Il est compréhensible qu’aucun seigneur moldu n’ait souhaité en prendre possession après l’infortuné… accident de lord Hadyne. C’est ironique, les Moldus croient le château hanté, sans réaliser qu’il est simplement protégé par de puissants sortilèges. Toutefois, je suis d’accord avec vous : je méprise tout autant que vous ce qu’est devenu cet endroit. Mes compagnons fondateurs deviennent de plus en plus insensés. Ils se mélangent aux non-magiques et aux répugnants demi-sang. Alors même que nous parlons, ils complotent contre moi. Je crains fort que mon temps ici ne soit mesuré.

— Quelle honte, vraiment ! (La voix Merlin exprimait le mépris.) Et dire que vous aviez cru autrefois que cet établissement serait le tremplin de votre utopie des pur-sang. Vous devez avoir le cœur brisé !

— « Mon utopie des pur-sang », comme vous dites, mon ami, répondit Serpentard, sera un jour une réalité, que je sois là ou pas pour y assister. C’est la nature des choses. Les véritables dirigeants de ce monde n’accepteront pas longtemps de vivre parmi le bétail, ils se révolteront. Mon rôle dans le processus peut être insignifiant, mais j’aimerais pourtant assister à cet apogée. Et ne prétendez pas mépriser mes paroles, Merlinus. Vous êtes la preuve formelle de ma proclamation, même si vous feignez de l’ignorer.

— Pensez-vous que je déteste le monde non-magique autant que vous ? s’étonna Merlin, d’une voix distraite. Mais non, bien sûr. Je ne suis pas aussi borné. Pour un seul loup enragé, on ne massacre pas toute la meute. Vous proclamez la domination, et non la justice.

— Quel mal y a-t-il à dominer ceux qui ne méritent pas l’égalité ? répliqua Serpentard.

James comprit à sa voix que lui et Merlin avait déjà eu cette discussion de très nombreuses fois. Serpentard continua en s’échauffant sur le sujet :

— On pourrait même prétendre que c’est bonté d’âme d’empêcher de gouverner ceux qui sont incapables de le faire par eux-mêmes. De plus… (La voix devint doucereuse,) il y a davantage qu’un seul loup enragé, ne pensez-vous pas ?

Il y eut un long silence, puis Merlin dit fermement :

— Je ne veux pas parler de ces choses avec vous.

— Oh, mais vous n’en avez pas besoin, répondit Serpentard. À présent, chacun connaît la vérité sur ce qui vous est arrivé. Après tout, ça s’est passé ici même, il y a quatre lunes. Même les paysans moldus rient à l’idée du grand Merlin humilié par lord Hadyne et sa complice. Je devine que votre sang doit bouillir, non ? de voir votre nom devenu pour un paysan le symbole de l’amour insensé.

— Je ne veux pas parler de ces choses avec vous ! répéta lentement Merlin, d’une voix basse et dangereuse.

Le sorcier chauve ignora l’avertissement de Merlin.

— Je serai assez courtois pour ne pas vous rappeler que, dès le début, je vous avais prévenu de vous détacher de cette Moldue, continua-t-il. Je crois qu’elle s’appelait Judith, non ? Chez les paysans, elle était connue, par dérision, comme la Dame du Lac. Je vous avais supplié de ne pas vous abaisser à une affection aussi indigne de vous ! L’amour rend fou les hommes qui s’y soumettent. Plus grand est l’homme, plus grande est la folie. Et vous étiez un très grand homme, Merlinus. Et pourtant, même vous n’avez pas résisté. L’amour vous a aveuglé alors que votre esprit aurait dû se méfier. Si vous n’aviez pas été si amoureux, peut-être auriez-vous compris la vérité.

— Hadyne m’a rendu son cadavre, gronda Merlin, enragé. Il m’avait promis de me rendre Judith, c’était le marché que nous avions conclu ! Si je doublais la surface de ses terres et fortifiait ce château, il avait promis de me la rendre. Comment aurais-je pu deviner que cet homme tricherait tout en respectant notre marché à la lettre ?

— Il vous a donné un cadavre, rappela Serpentard d’une voix morne. Mais vous auriez dû savoir que ce n’était pas Judith. Le corps était très abîmé, et aucune reconnaissance visuelle n’était possible, mais Merlinus, vous êtes plus grand que ça. Vous auriez pu deviner la vérité si vous aviez essayé ! Vous ne l’avez même pas tenté.

— Elle devait être ma femme, répondit Merlin. (Sa voix, comme un tonnerre lointain, faisait trembler le sol sous les pieds de James.) Je n’ai pu le supporter. Je n’ai même pas pu regarder ce corps détruit.

— Et Hadyne l’avait deviné. Sinon, il n’aurait pas osé tenter contre vous une machination aussi stupide. Il savait que vous seriez trop blessé pour regarder le cadavre, pour vérifier s’il était vraiment celui de votre Judith. Ensuite, quand vous avez préparé votre revanche, quand vous avez attiré son carrosse dans la forêt, à ce moment-là encore, vous auriez pu deviner la vérité. Vous auriez pu utiliser les oiseaux et les arbres pour voir à l’intérieur de ce carrosse, pour vous assurer que Hadyne était seul. Mais vous ne l’avez pas fait. Votre rage, alimentée par votre amour déçu pour cette pauvre Moldue vous a aveuglé. Si vous aviez regardé, vous auriez su la vérité. Vous auriez pu la sauver. Maintenant, tout le monde sait que lord Hadyne était lui aussi amoureux de Judith. Il la voulait pour lui, et elle a accepté. Il a gardé Judith et vous a rendu le corps d’une servante morte. Elle vous a trahi.

— Elle n’avait pas le choix ! cria Merlin d’une voix cassée.

— Il y a toujours un choix, insista Serpentard. Elle aurait pu mourir pour mériter votre amour. Mais elle a choisi de vivre, et d’épouser lord Hadyne, son seigneur. Et elle était avec lui, dans ce carrosse, le jour où vous l’avez tué.

— Elle était humaine, cria Merlin. Elle croyait que je viendrais la chercher !

— Exactement, elle était humaine, approuva Serpentard. Une faible Moldue, au sang pauvre, sans le moindre héritage magique malgré vos pathétiques tentatives de lui apprendre des sortilèges. Et maintenant, elle est morte, à cause de vous, à cause de votre vengeance au nom de l’amour. Lady Hadyne est morte dans le carrosse de son nouvel époux, au cours d’un tragique et mystérieux accident. On dit que l’orage cette nuit-là était si fort qu’il semblait envoyé par Jupiter lui-même. Arraché du pont, le carrosse a été emporté par les flots, ses boiseries ont volé en éclats, et les occupants – tous les deux – ont été noyés.

— Je ne veux pas parler de ces choses avec vous ! hurla Merlin.

Cette fois, sa voix secoua les murs. Il y eut un éclair de lumière verte. Chaque chandelle, chaque flamme du feu, explosa en torche. Dans le laboratoire, la bougie rouge s’illumina pendant un terrifiant moment. Puis, aussi vite que c’était apparu, tout disparut. Et la pièce replongea dans l’obscurité.

Après un moment de silence, la voix de Serpentard s’éleva, calme et doucereuse.

— Pardonnez-moi, mon ami. J’ai cru de mon devoir de vous rappeler ce qui s’était passé. Je sais que vous avez été transformé par cette épreuve. Je vous avais averti de ne pas faire confiance aux Moldus. Ce sont des bêtes, incapables du moins sentiment noble. Ils doivent être asservis. Nous devons être leurs maîtres. Nous en avons le droit, mais plus encore, le devoir. Aussi bien pour eux que pour nous.

— Vous n’êtes qu’un serpent et un menteur, Salazar Serpentard, grommela Merlin.

— Un serpent peut-être, admit Serpentard avec un petit rire, mais certainement pas un menteur. Si vous êtes ici, c’est que vous êtes d’accord avec moi, bien que votre sotte conscience vous interdise de l’admettre.

— En fait, je suis venu parce que vous possédez quelque chose dont j’ai besoin.

Serpentard soupira.

— Oui, je sais. J’ai déjà parlé avec votre apprenti, Austramaddux. Pour une fois, je suis d’accord avec lui. Votre plan est intéressant. Ce monde n’est plus longtemps le vôtre, Merlinus. Les royaumes étendent leur civilisation. Elle diminue les terres, et les soumet. Elle arrache le bois des forêts pour en faire des masures. Elle détruit la terre, et vous la rend muette. Moi seul sait ce qu’il advient alors de vos pouvoirs, mon ami, parce que vous ne ressemblez pas aux autres sorciers. En fait, vous n’êtes pas un sorcier, mais un enchanteur – et peut-être le dernier de votre race. Je suis heureux que vous ayez accepté ma suggestion de quitter un temps cette terre. Vous reviendrez à une époque plus favorable. Austramaddux y veillera.

— Peut-être n’y aura-t-il jamais d’époque adéquate, dit Merlin gravement. Mais c’est sans importance. Vous avez raison au sujet d’une chose, ce monde ne me correspond plus ; il ne m’intéresse plus. J’ai vu les jours s’assombrir à cause de mes mains funestes. J’ai choisi de quitter le royaume des hommes, mais pour mes propres raisons, Serpentard. Et vous ne pourriez les comprendre. Votre cœur est aussi sombre qu’une crypte.

— Et pourtant, vous êtes venus réclamer quelque chose de bien sombre, mon ami, répondit aussitôt le sorcier. Je l’ai deviné. La balise-pierre sent quand on la cherche.

— Ne jouez pas au plus fin avec moi, Serpentard. Je sais que vous désirez me voir briser les frontières des mondes. Et vous espérez garder cette pierre pour pouvoir contrôler ce qui reviendrait avec moi.

— Vous parlez de la malédiction du Gardien des Portes ? Quelle folie ! Vous ne devriez pas tenir compte de ces racontars ridicules. Ce ne sont que des légendes créées par des hommes oisifs à l’imagination fertile.

— Votre fourberie ne me trompe pas, Serpentard. Vous avez la balise-pierre ; vous avez la Poche Noire. Je sais que vous adorez les colifichets de magie noire. Si je dois accomplir ce qu’aucun autre sur cette terre n’a jamais été capable de faire, je le ferai avec des outils dont aucun autre de ce monde n’a besoin.

— Dites-moi, Merlinus, dit Serpentard d’un ton prudent, que savez-vous de ces colifichets ?

— Leur histoire est connue des enfants, répondit Merlin avec un soupir. La Poche Noire contient les dernières reliques de l’obscurité originelle qui provient de la nuit des temps. Ses usages sont innombrables et uniques. La balise-pierre, par contre, est la seule relique antérieure au temps. C’est un onyx noir qui provient du Néant lui-même, de l’Entre-deux-mondes. La pierre n’est pas soumise au temps qui passe, et c’est une balise qui convoque le Gardien des Portes. Le détenteur de la pierre peut revoir les disparus, ceux qui sont passés dans l’au-delà. Mais plus important encore, le détenteur de la pierre devient l’Émissaire du Gardien, si cette créature maudite arrivait un jour parmi les hommes.

— Voyons, Merlinus, vous ne croyez pas à de telles balivernes ? se moqua Serpentard.

Atterré, James réalisa que Serpentard lui-même y croyait pleinement.

— Je crois, dit Merlin calmement, que personne n’a jamais osé affronter ces légendes, surtout parce que personne n’a jamais été capable de le faire. On ne peut que spéculer sur ce qui se passerait si les frontières étaient franchies, si un sorcier restait assez longtemps dans l’Entre-deux-mondes pour attirer l’attention du Gardien du Néant, et le ramenait ensuite avec lui à son retour. Si je le fais, et si je reviens, je veux être capable de gérer ce qui se passerait ensuite.

— Mais pourquoi ? haleta soudain Serpentard, d’une voix dégoulinante de haine. Pourquoi ne pas lâcher le Destructeur sur la terre ? Qu’il anéantisse tout sur son passage ! L’homme est un fléau qui réduit votre pouvoir morceau par morceau, qui le dévore comme une locuste. Laissez le Gardien accomplir sa tâche : et bien fait pour eux ! Si mes prédictions sont exactes, le monde sorcier à ce jour sera plus puissant que celui des Moldus. Le monde magique sera capable de se défendre contre le Gardien, et même éventuellement de s’allier à lui. Seuls les insectes moldus et les sangs impurs seront annihilés, tant mieux ! La légende prétend que la malédiction du Gardien ouvrira une nouvelle ère. Une ère de pureté, de perfection cristalline. Laissez-le faire, Merlinus. Soyez le déclencheur de cette malédiction. Et vous pourrez ensuite réclamer votre titre de Roi des Sorciers.

— Si je dois être le déclencheur de cette malédiction, j’exige de pouvoir la contrôler, répliqua Merlin implacable.

— Je comprends ce que vous ressentez, répondit Serpentard. Sans la balise-pierre, vous ne pourriez même pas attirer l’attention du Gardien. Cependant…

Merlin attendit en silence, mais James, toujours assis dans le coin du laboratoire sombre, sentait le grand sorcier frémir, comme si la rage bouillonnait juste sous sa peau.

Serpentard continua :

— La pierre est bien trop puissante pour quitter entièrement la terre. Sachant que ce jour devrait arriver, je me suis arrangé pour la casser en deux parts égales. J’ai serti chaque moitié dans un anneau. Vous en prendrez un, je garderai l’autre.

— N’essayez pas de me tromper, Serpentard, grommela Merlin. Vous souhaitez pouvoir contrôler le Gardien. Vous espérez qu’il arrive. Vous comptez l’utiliser pour vous venger de vos ennemis. Mais à cette époque, vous et eux seront morts depuis longtemps.

Salazar Serpentard ricana.

— Ça n’est pas votre problème, mon ami. Ma moitié de pierre restera dans ma maison, quel que soit la durée de mon temps sur terre. Et je le passerai ensuite à mes héritiers. Quand vous reviendrez – et si vous revenez – votre retour indiquera l’heure de la malédiction, et la balise-pierre sera toujours dans les mains de mes descendants. Je veillerai à ce qu’ils soient préparés. C’est un juste marché, ne pensez-vous pas ? De plus… (Le sorcier baissa la voix,) ce sera une garantie pour moi si vous décidez d’abandonner votre destin et de vous opposer au gardien. Après tout, n’êtes-vous pas Merlinus le Terrible, le dernier descendant de la lignée de Myrddred ? N’êtes-vous pas le plus grand enchanteur de tous les temps ? Je n’imagine pas qu’un être de votre envergure ait besoin d’un simple colifichet.

Merlin resta silencieux, et James une fois de plus ressentit sa colère rageuse. Finalement, il dit.

— Comme vous voulez, Serpentard. Donnez-moi la moitié de la pierre, et je quitterai cet endroit.

Il y eut le bruit d’un tiroir qu’on ouvrait, le bruit d’une petite boîte posée sur du bois. Puis un très très long silence.

— Je pourrais très facilement vous prendre ces deux anneaux, mon ami, dit Merlin d’une voix menaçante. Après tout, ne suis-je pas Merlinus le Terrible ?

— Vous avez oublié les conditions de votre lamentable marché avec Hadyne, répondit Serpentard. (James entendit le claquement sec de la boîte qui se refermait.) Vous ne pouvez pas toucher un cheveu de quiconque réside dans ce château. Vos menaces sont formidables, mais elles sont malheureusement sans effet. Par contre, j’apprécie le sentiment qui vous anime. Et vous pouvez considérer que je le partage.

Le plancher craqua quand Merlin se releva. James vit les ombres de la pièce changer alors que le grand sorcier s’apprêtait à sortir. Tout à coup, une silhouette bloqua la vue de James entre les deux portes entrebâillées. C’était Serpentard. Il écarta légèrement les panneaux, et regarda James. Une expression pensive traversa son visage, et ses yeux s’étrécirent.

— Au fait, Merlinus, dit-il sans quitter James des yeux, si vous retournez dans le futur, faites bien attention à vos ennemis. Votre disparition deviendra certainement une légende. Certains vous chercheront, d’autres vous attendront, et tous n’auront pas l’intention de bien vous accueillir.

— J’ai l’habitude de me défendre contre mes ennemis, répondit la voix de Merlin, à l’autre extrémité de la pièce.

— Peu importe, si un jour vous croisez un jeune garçon aux yeux bruns, avec des cheveux noirs, courts et ébouriffés, et un air insolent, méfiez-vous de lui. Il est votre ennemi. Je vous le prédis. Vous devrez vous en débarrasser.

— Je ne me débarrasse jamais de quiconque sans raison, gronda Merlin. Et je ne crois pas en vos « prédictions ». Et même ceux qui méritent des punitions m’échappent à l’occasion.

— Et pourtant, il y en a qui ne méritent rien et qui tombent sous le joug d’un jugement, déclara Serpentard d’une voix aussi glacée qu’une lame de couteau. Faites ce que vous voulez, Merlinus. Attention à ce garçon ! Si vous ignorez mes avis, ce sera à vos risques et périls. Après tout, je m’en lave les mains.

Un moment après, il y eut une bouffée d’air chaud, une odeur de terre, et un grondement. Merlin avait disparu. Serpentard montra les dents en regardant James.

— Tu as dit que l’Histoire ne s’était pas trompée à mon sujet, dit-il avec un sourire vicieux. Tu sais, mon petit ami, je ne crois pas que l’Histoire connaîtra jamais ton nom.

 

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La Malédiction du gardien
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